mercredi 29 avril 2015

La déhospitalisation psychiatrique au XXe siècle


La déhospitalisation psychiatrique au XXe siècle. Perspectives francophones transnationales

Panel au sein du Congrès annuel de la Société Canadienne d’Histoire de la Médecine

organisé par Alexandre Klein et Emmanuel Delille

En partenariat avec la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en santé et dans le cadre du projet de recherche IRSC « Déhospitalisation psychiatrique et accès aux services de santé mentale. Regards croisés Ontario-Québec, 1950-2012 ».


Dimanche 31 mai 2015
13h00-15h30
Université d’Ottawa – Salle FSS 1007

La psychiatrie a connu au cours du XXe siècle une remise en question importante du modèle sur lequel elle s’était fondée, en tant que science et profession, au cours du siècle précédent. Déstabilisant la doctrine du traitement moral selon laquelle l’institution asilaire était un élément central de la thérapeutique, l’expérience de la folie des soldats au cours des deux guerres mondiales et les mouvements réformateurs participèrent à l’émergence d’un nouveau paradigme de soins psychiatriques. La révolution thérapeutique engagée par l’apparition des neuroleptiques et la généralisation des psychothérapies, les transformations culturelles et sociales qui gagnèrent les pays industrialisés au cours des années 1950-1960, ainsi que les critiques de plus en plus fortes des sciences humaines comme des nouvelles générations de psychiatres vinrent asseoir l’émergence de nouveaux modes de prise en charge de la folie.  L’hospitalo-centrisme qui avait organisé la psychiatrie du XIXe siècle allait laisser place à une approche nouvelle basée sur une politique de déhospitalisation.
Si l’émergence de cette psychiatrie « hors les murs » a fait l’objet, depuis plusieurs années, de multiples études historiques dans le monde anglo-saxon, les travaux concernant la francophonie sont plus récents et restent encore peu nombreux.  Pourtant, au Québec, le rapport de la commission Bédard (1962) a engagé un processus de désinstitutionnalisation important qui a conduit à l’ouverture de structures nouvelles et à la valorisation de la prise en charge communautaire. De même, dans le reste du Canada, les communautés francophones ont également connu un mouvement vers la déhospitalisation de la santé mentale . En France, un phénomène similaire vit le jour sous le vocable de sectorisation et contribua à transformer la prise en charge des soins de santé mentale. Tandis que la Belgique ou la Suisse connurent elles aussi ce processus de sortie des institutions.
Ce panel vise à valoriser cette recherche historique sur les expériences de déhospitalisation psychiatrique dans l’espace francophone et à permettre ainsi l’instauration d’échanges et d’une mutualisation des connaissances entre chercheurs de différents pays.


  • Benoît Majerus (Université du Luxembourg) Sortir de l’asile, sortir de la psychiatrie ?
Comme dans les autres pays européens, la Belgique connaît à partir des années 1960 un mouvement social qui plaide en faveur d’une réforme des soins psychiatriques. Et comme dans les autres pays européens, un projet – celui de L’Équipe à Bruxelles – va servir de focale pour défenseurs et critiques d’une prise en charge extra-hospitalière. À partir d’entretiens et de dossiers de patients, il s’agit de revenir sur la pratique de L’Équipe dans ses années fondatrices aussi bien en s'intéressant à la question de l’espace, des équipes multidisciplinaires ou des (nouvelles?) populations qui y sont prises en charge. 
  • Hervé Guillemain (Université du Maine/Cerhio) Les limites de la « désinstitutionnalisation » française. 
Peut-on parler de désinstitutionnalisation pour l’histoire de la psychiatrie française de la fin du XXe siècle. Il est évident que la situation n’est pas comparable à celle d’autres pays européens (Grande Bretagne ou Italie par exemple). L’hôpital reste encore aujourd’hui au cœur du système de soin de la maladie mentale. Cependant comme ailleurs en occident une déshospitalisation partielle a été menée dont l’histoire est peu connue. Je propose de parler de cette histoire à partir de deux points d’observation. Le premier ce sont les statistiques nationales qui permettent parfois de comprendre les transferts de patients vers de nouvelles structures et le développement de nouveaux secteurs d’assistance. Le second c’est une institution psychiatrique – l’hôpital du Mans – dont l’histoire et les archives évoquent précisément les limites de cette évolution vers la déshospitalisation. Cette étude (1960-1990) mettra en discussion le rôle des conditions financières imposées aux hôpitaux psychiatriques autant que celui plus connu de l’idéologie du soin rassemblée sous le terme de « secteur ».
  • Emmanuel Delille (Centre Marc Bloch, Berlin) Réformes ou modernisation ? La santé mentale en Eure-et-Loir (1947-1970)
En prenant comme lieu d’observation le Centre Hospitalier de Bonneval, en Eure-et-Loir, je propose de revisiter la chronologie du processus de réforme de la psychiatrie publique connu en France sous le nom de « sectorisation », en adaptant la chronologie aux politiques réellement appliquées dans ce département encore très rural après-guerre. Deux dates importantes sont alors à prendre en compte : 1947, création du Centre de Traitement et de Réadaptation Sociale de Bonneval, en lieu et place du service des femmes dirigé par Henri Ey (1900-1977) ; 1970, mise en œuvre de la sectorisation dans l’ensemble du département d’Eure-et-Loir, à nouveau sous la direction d’Henri Ey. Si, au lendemain de la Libération, ce dernier a participé au Manifeste en 24 points rédigé au terme des Journées Psychiatriques Nationales (mars 1945) et au Livre Blanc de la Psychiatrie Française (1965-1968), les documents d’archives (plan manuscrit, cartes, négociations, écrits de patients, etc.) indiquent plutôt que l’élan rénovateur s'est traduit localement par une « modernisation du vieil asile » et non pas par une sortie de l’hôpital psychiatrique. En somme, je propose de mettre en discussion l’interprétation d’un plan de sectorisation et les travaux de rénovation réellement effectués à Bonneval, pendant cette période bien connue des « Trente Glorieuses ». 
  • Alexandre Klein (Université d’Ottawa) Charles A. Roberts (1918-1996), acteur oublié de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec
Connu pour avoir été l’unique membre anglophone de la commission Bédard, laquelle engagea officiellement la désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec dès 1962, le psychiatre terre-neuvien Charles Augustus Roberts (1918-1996) fut également un acteur central de la réforme de la psychiatrie canadienne contemporaine. En tant que médecin et surintendant de divers hôpitaux à travers le pays, mais aussi responsable de la Division de la santé mentale du ministère fédéral de la santé ou encore membre actif de l’Association des psychiatres canadiens, Roberts participa activement à la transformation de la prise en charge en santé mentale qui eut lieu au Canada au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ainsi qu’à l’institutionnalisation de la psychiatrie canadienne qui l’accompagna. À l’aune de son parcours singulier, mais malheureusement peu connu, l’histoire de la psychiatrie québécoise acquiert une tout autre dimension. La déhospitalisation psychiatrique, qui fut longtemps pensée comme le fruit de l’engagement de quelques psychiatres francophones modernistes, se révèle, par l’entremise de la figure de Roberts, inscrite dans un processus historique et sociologique bien plus vaste de réformes du système de santé canadien. C’est à cette relecture de l’histoire de la  désinstitutionnalisation psychiatrique au Québec, à la lumière de son contexte linguistique et sociohistorique, que nous consacrerons notre communication qui détaillera l’œuvre de Charles A. Roberts, notamment lors de son séjour québécois comme surintendant du Verdun Protestant Hospital de Montréal, afin d’en préciser les apports historiographiques.
  • Maria Neagu (Université d’Ottawa) Représentations médiatiques francophones de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Canada (1960-2010)
Cette communication présente les résultats d’une étude exploratoire de la couverture médiatique de trois journaux francophones ontariens – Le Droit, le Voyageur et le Nord – sur le passage de l’enfermement asilaire à la réintégration des ex psychiatrisés au sein de la société, à partir de la première vague de désinstitutionnalisation massive qui a marqué les années soixante et soixante-dix, jusqu’aux pratiques alternatives d’aujourd’hui. Ce phénomène de société, commun pour l’ensemble du Canada, est empreint d’une réalité singulière pour les communautés francophones du pays vivant en contexte minoritaire, confrontées à la pénurie des services en français et des ressources satellites francophones. Les difficultés d’accès aux services adaptés et la qualité de ces services, conjuguées à une appréhension généralisée de la maladie mentale, constituent un défi non négligeable pour les familles et la société appelées à participer à la réinsertion sociale des ex-psychiatrisés. Si les archives médicales permettent de retracer des fragments des itinéraires de ces sujets toujours vulnérables face à leur maladie (or, bon nombre d’entre eux connaitront des ré-internements successifs), nous souhaitons nous pencher sur ce rendez-vous d’un succès mitigé entre la société et ses « fous ».  À travers la lorgnette de la presse francophone, nous tâcherons d’observer les comportements des uns et des autres dans ce nouveau contexte de ré-apprivoisement réciproque. À travers quels registres le discours médiatique capte-t-il la présence des ex-psychiatrisés au sein de la cité ? Qu’en dit-il sur ce phénomène de société rarement exploré dans l’optique de l’histoire culturelle ? Les résultats préliminaires de cette enquête laissent entrevoir une désinstitutionnalisation à multiples facettes. Tantôt on craint le « fou » coupable d’un acte criminel qui défraie les chroniques des faits divers, tantôt on tente de démystifier la folie en cédant la parole aux spécialistes de la question. Le lecteur francophone sera aussi informé des nouvelles politiques en la matière, mais rarement sera-t-il au fait des défis réels que pose la pénurie des services de réinsertion.

Contact : aklein[at]uottawa.ca 

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