dimanche 6 mars 2016

Santé au travail et santé environnementale

Santé au travail, santé environnementale : quelles inclusions, quelles exclusions ?

Appel à communications

Journée d’étude interdisciplinaire organisée par le Réseau jeunes chercheurs en santé au travail (RJCTS), avec le soutien du DIM Gestes –Région Ile-de-France

Le 29 juin 2016, à Paris, EHESS


S’il existe à l’échelle institutionnelle plusieurs dispositifs qui entendent depuis quelques années organiser la rencontre entre santé au travail et santé environnementale (par exemple le récent Programme national de recherche sante-environnement‐travail de l'ANSES), le cloisonnement entre ces deux champs est le plus souvent de rigueur. Ainsi, selon une frontière socialement construite entre le dedans et le dehors des entreprises, il semble communément admis que la santé des travailleurs ne relève pas des mêmes normes ni des mêmes exigences que celles convoquées pour la santé des populations. Les travaux en sciences humaines et sociales s'inscrivent eux-mêmes le plus souvent à l'intérieur de ces frontières établies par les pratiques juridiques et administratives, séparant ce qui relève du travail (droit du travail) de ce qui relève de l'environnement (droit de l'environnement). Toutefois, plusieurs recherches récentes invitent à interroger cette fragmentation entre l'espace de travail et son environnement. Les travaux sur la pollution industrielle (Massard-Guilbaud, 2010 ; Le Roux, 2011 ; Fressoz, 2012), sur certaines maladies professionnelles (Rainhorn, 2014) constituent des efforts en ce sens. Parmi ces travaux, trois notions peuvent apparaître fructueuses pour interroger ce double standard. Celle de « maladie industrielle » (Jobin, 2006) invite à transgresser la frontière juridique établie par la loi sur la réparation des maladies professionnelles et à envisager ensemble les préjudices des victimes du travail et ceux des victimes environnementales. La notion de « débordement industriel » (Le Roux et Letté, 2013) permet, quant à elle, de souligner que l'activité dans l'espace productif génère des nuisances qui se prolongent hors des entreprises ; mobilisant des groupes distincts, disposant de répertoires d'actions et d'aspirations différentes. Enfin, la notion de workscape – « paysage de travail » – (Andrews, 2008) s'intéresse plus directement à l'activité de travail : elle invite à souligner que, si le travail transforme le milieu physique, cette transformation contribue également à éroder certains agencements sociaux, à façonner des cultures professionnelles et des interventions face aux préjudices sanitaires.
Dans la perspective de cette journée d'étude, nous souhaitons rendre visibles et mettre en dialogue les travaux et recherches en cours qui permettent, dans différentes disciplines des

Sciences humaines et sociales, d’interroger tout à la fois la construction sociale de ce cloisonnement et les (dis)continuités entre santé au travail et santé environnementale. Ces travaux pourraient s’inscrire dans ces quatre axes :

1. Dans un premier temps, il s'agit d'interroger la construction du cloisonnement existant entre santé au travail et santé environnementale, en s'intéressant aux pratiques juridiques et administratives, mais aussi à celles des industriels ou des salariés, qui contribuent à le façonner et à le pérenniser. Comment les uns et les autres s’emparent de cette fragmentation, à quelles fins ? Des industriels peuvent ainsi utiliser cette fragmentation dans l’objectif de séparer les causes portées par les salariés et les riverains, alors que des salariés peuvent utiliser cette fragmentation pour coder leurs revendications, pour les situer dans le périmètre de la relation salariale (droit du travail).

2. Alors que la distinction entre santé au travail et santé environnementale se base sur le cloisonnement entre milieu de travail et milieu de vie, les ergonomes ont mis en évidence l’absence de bornes, au sens d’étanchéité entre le dedans (le milieu de travail) et le dehors (l’environnement en général) lorsqu’il est question de l’activité de travail et de la santé des travailleurs. De plus, les arbitrages individuels ou collectifs, organisationnels, managériaux, sont toujours pour partie inédits ou renouvelés pour s’adapter car « la réaction humaine à la provocation du milieu se trouve diversifiée. L’homme peut apporter plusieurs solutions à un même problème posé par le milieu. Le milieu propose sans jamais imposer une solution » (Canguilhem, 1965). Quels passages entre milieu de travail et milieu de vie ont pu être identifiés ? Quelles adaptations inédites ou singulières selon les milieux de travail et environnements concernés ?

3. Les « débordements industriels » (Le Roux, Letté, 2013) et « maladies industrielles » (Jobin, 2006) peuvent lier des acteurs a priori distincts autour d’un même problème. Des acteurs extérieurs à l'espace de travail peuvent ainsi contribuer à « publiciser » (Cefaï et Terzi, 2012) les facteurs pathogènes qui entourent l'activité du travail. La fragmentation apparaît alors comme un obstacle, perd sa légitimité et devient donc l’objet de contestation. Comment émergent ces passerelles entre le dedans et le dehors ? A quelles conditions les acteurs mobilisés parviennent à mettre en cause l’étanchéité de cette frontière et à proposer un cadrage qui fait apparaître un problème commun ? Au contraire, quels sont les obstacles qui entravent de telles dynamiques et maintiennent les « encombrantes victimes » de maladies professionnelles (Jouzel, 2009) ou de catastrophes industrielles dans une forme d’invisibilité sociale ? Selon Henri Pézerat, les travailleurs devraient être considérés comme des sentinelles vis‐a-vis des contaminations environnementales. Inversement, les riverains peuvent--‐ils jouer le rôle de sentinelle des expositions professionnelles ?

4. Cette notion de frontière, de cloisonnement, entre le dedans et le dehors, entre santé au travail et santé environnementale, peut également se reconvertir dans le cadre de la régulation des risques industriels. En effet, l'élaboration et l'application de normes plus contraignantes depuis les années soixante‐dix conduit certains industriels à déplacer ces risques pour la santé au travail et environnementale dans d’autres espaces géographiques – estimés moins « vulnérables » ou encore moins contraignants sur le plan légal – ou vers des catégories de travailleurs précarisés (Decosse, 2013), selon une dynamique de « délocalisation sur place » (Terray, 1999). D'une part, ces délocalisations peuvent contribuer à la construction d’une nouvelle frontière entre industries « propres » au Nord et industries à risques au Sud (Lysaniuk, 2013). D'autre part, les stratégies de développement de firmes transnationales peuvent contribuer à parcelliser certaines chaînes de production, induisant non seulement une fragmentation des risques, mais également leur dissémination à travers différents territoires (Sellers et Melling, 2012). Les effets de cette nouvelle géographie productive sur les régulations en santé au travail et en santé environnementale méritent donc d'être interrogés.

Cette journée d'études se veut interdisciplinaire. L'usage et la définition des concepts peuvent varier selon les disciplines : nous inviterons donc les participants à prendre soin de rappeler la définition des concepts utilisés, afin de favoriser l'échange entre disciplines. La participation de doctorant.e.s et jeunes chercheur.e.s est particulièrement attendue.


Modalités :
Les réponses à l’appel à communications sont à envoyer le 31 mars 2016 au plus tard à renaudbecot@gmail.com et anne.chand@wanadoo.fr. Le format demandé est de 4 000 signes en Times new Roman 12. La première page de réponse ne comportera que le ou les noms des auteur.e.s, leur titre et institution de rattachement ainsi que leur adresse mail.

Calendrier :
• 31 mars 2016 : date limite de soumission des réponses à l’appel à communications.
• 15 avril 2016 : réponse aux auteurs.
• 17 juin 2016 : envoi des communications complètes.
• 29 juin 2016 : journée d’étude.

Comité d’organisation :
Renaud Bécot (CMH/EHESS), Marie Ghis Malfilatre (EHESS/CEMS), Benjamin Lysaniuk (CNRS/Prodig/Giscop93), Anne Marchand (Evry/IDHES), Muriel Prevot‐Carpentier (Paris 8/Paragraphe EA 349).


Bibliographie mobilisée :

Andrews Thomas, Killing For Coal. America's Deadliest War on Labor, Boston, Harvard University Press, 2008.

Barca Stefania, « Laboring the Earth. Transnational reflections on the environmental history of work », Environmental History, 19/1, 2014, p.3‐27.

Canguilhem Georges, La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965.

Cefaï Daniel et Terzi Cédric (dir.), L'expérience des problèmes publics. Perspectives pragmatistes, Paris, Éditions de l'EHESS, 2012.

Decosse Frédéric, « Entre “usage contrôlé”, invisibilisation et externalisation. Le précariat étranger face au risque chimique en agriculture intensive », Sociologie du travail, n° 55, 2013, p. 322‐340.

Fressoz Jean--‐Baptiste, L'apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 2012.

Jobin Paul, Maladies industrielles et renouveau syndical au Japon, Paris, Éditions de l'EHESS, 2006.

Jouzel Jean‐Noël, « Encombrantes victimes. Pourquoi les maladies professionnelles restent‐elles socialement invisibles en France ? », Sociologie du travail, vol. 51/3, 2009, p. 402‐418.

Le Roux Thomas et Letté Michel (dir.), Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit (XVIIIe-­XXIe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

Le Roux Thomas, Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-­1830, Paris, Albin Michel, 2011.

Lysaniuk Benjamin, « L’amiante de l’entreprise à l’environnement : généralités et cas emblématiques », Pollution Atmosphérique, n° 219, 2013.

Massard-Guilbaud Geneviève, Histoire de la pollution industrielle. France, 1789-­1914, Paris, Éditions de l'EHESS, 2010.

Terray Emmanuel, « Le travail des étrangers en situation irrégulière ou la délocalisation sur place », Balibar Etienne et al (dir), Sans-papiers. L’archaïsme fatal, La Découverte, 1999, p. 9‐34.

Rainhorn Judith (dir.), Santé et travail à la mine, XIXe-­XXIe siècle, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2014.

Rainhorn Judith, « Poussières de plomb et pollution de l'air au travail : la céruse en question sur le temps long », Pollution atmosphérique. Climat, santé et société, n° 222, 2014. En ligne : http://lodel.irevues.inist.fr/pollution‐atmospherique [Consulté le 15 avril 2015]

Sellers Christopher et Melling Joseph (dir.), Dangerous Trade. Histories of Industrial Hazard Across a Globalizing World, Philadelphia, Temple University Press, 2012.

White Richard, « “Are You an Environmentalist or Do You Work For A Living ?” : Work And Nature », William Cronon (dir.), Uncommon Ground. Rethinking The Human Place In Nature, New York, Norton, 1996, p. 171--‐185.

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