dimanche 5 mars 2017

Grandes et petites mains de la beauté

Grandes et petites mains de la beauté. Production, entretien, distribution


Appel à communications



Journées d’étude, 12-13 octobre 2017, EHESS


Le « travail de la beauté » consiste en l’exercice d’une activité professionnelle qui conçoit, produit, entretient ou distribue des formes socialement définies d’apparences. Exercé à des endroits éloignés de la stratification sociale, cette activité passe autant par un travail prescriptif d’édiction de normes de beauté (« modes » alimentaire, vestimentaire, esthétique, etc.) que par un travail interactif de transformation ou modification du corps (conseil alimentaire, coiffure, esthétique, massage, etc.). Cette activité s’inscrit dans une industrie de la beauté au cœur d’enjeux sanitaires, scientifiques, culturels et sociaux qui ne cesse de prendre de l’importance depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. S’adressant encore aujourd’hui principalement aux femmes, cette industrie s’est développée grâce aux publicités pour les produits de beauté relayées par les magazines féminins qui véhiculent les « principaux traits de l’image sociale dominante de la féminité » (Goffman, 1977) et des normes d’apparence liées à l’âge et la « race ». L’avènement de la société de consommation a bousculé « l’ensemble de l’univers esthétique » (Vigarello, 2004) qui étend aujourd’hui les préoccupations esthétiques aux hommes, invités eux-aussi à s’intéresser de plus en plus à l’entretien de leurs corps. Les slogans publicitaires soulignent comment les produits permettent d’accéder à une beauté naturelle, de maintenir une forme de jeunesse corporelle, de permettre l’émergence du « vrai moi ». Ils sont à la fois présentés comme magiques et en même temps « créés par des biologistes hyper-diplômés, brevetés par des dermatologues avertis et conseillés par des pharmaciens confirmés » (Cochennec, 2004). Les métiers de la beauté ont accompagné le développement de l’industrie de la beauté en se diversifiant et, dans certains cas, en se professionnalisant. Aujourd’hui, du service à la personne à la conception, la publicité et la production, le travail de la beauté occupe de nombreux professionnels sur lesquels les recherches émergent (notamment au sujet des estheticien-ne-s (Cochennec, 2004 ; Jablonka, 2015), des coiffeurs-euses (Le Lay, 2006 ; Messu, 2013) et de la vente en instituts d’esthétiques (Lan, 2003).
L’intention de cette journée d’étude est de réfléchir à ces métiers, à leur émergence, au contenu de leur travail, à leurs qualifications, leurs contraintes, aux caractéristiques sociales et trajectoires des individus qui les exercent, à leur segmentation et hiérarchisation, à leur rôle prescripteur de « canons de beauté ». La socialisation induite par les métiers dans ces différentes dimensions sera également envisagée (des professionnel-le-s vers les client-e-s et réciproquement ; l’incorporation de normes depuis la sphère professionnelle vers la sphère privée, etc.) Nous invitons donc les chercheur-e-s analysant ces divers aspects et engageant dans leur analyse des normes de beauté une perspective sensible aux questions de classes, de race et de genre à proposer une communication.

Axes thématiques

Les recherches peuvent couvrir les axes suivants (la liste n’est pas exhaustive) : 

Axe 1 : Fabriquer des canons de beauté
Dans Hope in the jar, Kathy Peiss montre comment les produits de beauté participent à la formation des canons de beauté dans la société américaine au XXe alors qu’ils étaient mal considérés à la fin du XIXe (Peiss, 2011). L’historienne définit trois marchés correspondant à trois secteurs industriels spécifiques : le marché de classe, correspondant au luxe ; le marché de masse et le marché ethnique. Cet axe vise à appréhender le secteur de l’industrie de la beauté dans sa variété, à saisir les modalités structurelles de son fonctionnement (production, distribution, division du travail, etc.) et à définir sa position actuelle au sein de la production des biens et de services. Les communications pourront étudier les questions suivantes :
Comment le secteur de la beauté s’est-il structuré (Jones, 2010) ? Peut-on déceler des variations selon les contextes socio-historiques ? Quelles sont les diverses normes et valeurs auxquelles se rattachent ces marchés de la beauté ? Qui sont les agents participant à la création et la décision de ces normes et valeurs ? Peut-on observer la circulation des normes et des stéréotypes entre ces marchés segmentés ?
Quels sont les rôles des travailleur-s-es dans ces processus ? Quelles sont les hiérarchies professionnelles qui caractérisent ces métiers ? S’agissant du marché « ethnique », en France aujourd’hui, le secteur de la beauté comprend également tout une partie de travailleur-s-es immigrées exerçant dans l’informalité comme c’est le cas des manucures de Château d’eau (Chuang, 2014). Dans quelle mesure leur engagement dans ces marchés influence-t-il la circulation et la perception des canons de beauté dits « ethniques » ? Peut-on observer des transmissions ou des évolutions de ces normes de beauté par rapport aux pays d’origines ? 

Axe 2 : Prescrire/traduire les « normes de beauté » dans son travail 
Un deuxième axe vise à appréhender la manière dont les normes de beauté s’invitent dans le travail. Cela peut se faire d’une double manière.

En premier lieu, les normes de beauté peuvent intervenir à l’occasion de l’exercice d’un travail, le plus souvent en relation avec un public, sans que le travail ne relève d’un travail de la beauté : on observe leur rôle dans l’obtention d’un emploi, dans les conditions du maintien dans l’emploi, dans l’exercice du travail dans les métiers de la vente en magasin, de l’immobilier ou de l’hôtellerie de luxe. Dans ces métiers, la consommation de produits de beauté constitue, par exemple, une norme professionnelle informelle. Oumaya Hidri Neys (2008) montre, plus généralement, combien l’apparence constitue un enjeu à la fois pour les recruteurs et pour les candidats, en prenant l’exemple de professions commerciales situées en haut et en bas de la hiérarchie professionnelle. Dans ces métiers où le corps est investi comme un objet pour vendre des produits ou des services, certaines normes de beauté s’imposent aux travailleur-euse-s en même temps que ces derniers les transforment.

En second lieu, les normes de beauté peuvent définir le cœur de l’activité de certains métiers (pour les métiers de l’esthétique, de la coiffure par exemple). Dans ce cas, quelles sont les contraintes du travail de la beauté tel qu’il s’effectue au contact des clients ? Dans leur gestion de l’apparence et dans la mise en œuvre de normes de beauté socialement situées, comment gèrent-ils la distance ou la proximité sociale avec les clients ? Plusieurs études mettent l’accent sur l’aspect « émotionnel » du travail (Hochschild, 1983) de la beauté lorsqu’il est en relation avec une clientèle, que cela concerne les manucures (Kang, 2010) ou les coiffeurs-euses (Gimlin, 2002; Black, 2004).

D’autres considèrent qu’il est possible de parler de travail de care « dans la mesure où il s’agit d’un travail qui s’occupe directement des personnes de leur corps et de leur bien-être », (Arango Gaviria 2013). Qu’en est-il ? Les communications pourront étudier les questions suivantes :
  • Quelles sont des techniques des travailleur-euses pour atteindre les prescriptions des grandes chaînes de beauté (« bien-être des clients ») et les attentes des clients ? Quelles sont les techniques et savoir-faire liés à la manipulation des produits et des corps ? Quelles sont les conditions d’emploi réservées à ces travailleurs ?
  • Qui sont les salariés qui exercent ces activités du point de vue de leur trajectoire scolaire et sociale, leur rapport à l’avenir (accès à l’indépendance ?) etc. ? Quelles sont les gratifications qu’ils retirent de leur travail? Comment le travail de la beauté sur autrui affectent-ils le rapport que les employé-e-s entretiennent avec leur travail ?
  • Ce travail détermine-t-il la manière dont ils se positionnent au sein de la société ? Le contenu de leur travail et ses exigences participe-t-il à la redéfinition de leurs propres normes de beauté, à la transformation de leurs pratiques d’entretien du corps ? Cela se traduit-il par l’incorporation, dans leurs milieux sociaux d’appartenance, de pratiques esthétiques peu présentes jusqu’ici ? Dans quelle mesure le travail de beauté a-t-elle participé à la formation d’une nouvelle économie de l’intimité ? (Zelizer 2000)
Proposition de communications

Les propositions de communication feront l’objet d’un résumé d’une à deux pages maximum, incluant le titre, le nom et le rattachement institutionnel du ou des auteurs ou auteures (avec une adresse électronique de contact), ainsi que cinq mots-clés. Les propositions de communication seront à adresser
pour le 30 avril 2017

aux adresses suivantes : barbierpascal4@gmail.com; yahanduken@gmail.com; fanny.gallot@gmail.com. La décision sera communiquée dans le courant du mois du mai 2017.

Comité scientifique et d'organisation
Pascal Barbier (MCF, Paris-I Panthéon Sorbonne/CESSP )
Fanny Gallot (MCF, Université Paris Est Créteil/CRHEC)
Ya-Han Chuang (Post-doctorante, GEMASS/Paris IV Sorbonne)

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