mardi 27 juin 2017

Les sexologies et les théories de la sexualité

Sexologies et théories de la sexualité. Traduction, appropriation, problématisation, médicalisation

Appel à communications

Conférence internationale pluridisciplinaire d’histoire de la sexologie
Réseau Européen : Sexologies Européennes
Date: 30-31 Octobre 2017 
Lieu: the American University of Paris (Paris), France


« Je vous remercie de votre…mise en garde, docteur. Je crois que je ne risque rien, de ce côté là.
J’ai un instinct de conservation très développé. J’avoue aussi que la sexualité ne s’était encore jamais offerte à ma méditation sous forme de sexologie. Il m’avait toujours semblé que lorsque la sexualité tend à se muer en sexologie, la sexologie ne peut plus grand-chose pour la sexualité » (Gary, 1975, p. 110)

Dans cet extrait du livre de Roman Gary, le narrateur connaît « sa sexualité » et exprime son appréhension que la « sexologie » en tant que discours et pratique d’intervention sur la sexualité, n’en modifie son expérience. Il redoute que le recours à la « sexologie » ne vienne confirmer le déclin inéluctable de sa vie sexuelle. Enfin, il craint que cette spécialité puisse s’avérer incapable de restaurer la fonction souhaitée, objet de sa nostalgie. En d’autres termes, entre la volonté de savoir des médecins et la volonté de se raconter des patients, les concepts de sexualité et de sexologie ne se recoupent pas forcément. La perplexité du personnage principal d’Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, permet d’introduire un questionnement plus large portant d’une part, sur la relation entre les concepts de « la sexualité » et de « la sexologie », et d’autre part sur les articulations possibles entre les histoires de ces deux champs de savoirs.

Sexualité et Sexologie : frontières conceptuelles et historiographies
Dans l’Histoire des manières de jouir du siècle des lumières à l’avènement de la sexologie, Alain Corbin (2008) explore le rôle des manuels des médecins, des théologiens et des pornographes dans le modelage « (d)es désirs, (d)es jouissances, (d)es regrets », et souligne les convergences et les contradictions entre ces différentes sources. Pour Corbin, le « devoir de l’historien est de les lire toutes, de ne jamais refuser de les entendre, de saisir leur logique, parfois antagoniste ». Partant de la période sur laquelle Corbin clôt son Histoire des manières de jouir (autrement dit le XIXe siècle, moment où il situe « l’avènement de la sexologie »), l’historien contemporanéiste rencontre de nouvelles catégories conceptuelles et de nouveaux antagonismes. Ainsi doit-il se confronter à une réflexion sur le boundary-work qui peut être mis en évidence par une histoire croisée de la sexualité et de la sexologie. En effet, ces deux histoires traversent différents champs de savoirs (par exemple la médecine, la psychiatrie, la psychanalyse) qui se constituent et se positionnent les uns par rapport aux autres au cours de cette période.
L’articulation entre l’histoire de la sexualité et celle de la sexologie (ou entre les théories de la sexualité et celles des sexologies) peut être envisagée de différentes façons. Akrich, Callon, & Latour (2006) ont proposé le concept de traduction qui permettrait de traiter les rapports entre l’histoire de la sexualité et l’histoire de la sexologie comme des processus de « traduction » de la sexualité en sexologie, et inversement. Qu’il s’agisse de l’activité sexuelle du patient qui consulte, du sexologue qui répond à celui-ci ou encore du médecin qui s’adresse aux médias, qui écrit des ouvrages destinés au grand public ou des traités scientifiques, ces différentes situations sont considérées comme des processus de traduction et des sources de transformation des connaissances. Une autre approche, proposée par le psychiatre George Lanteri Laura (1979) s’appuie sur la notion d’appropriation d’une forme de sexualité par la sexologie ou plus généralement par la médecine. Le travail de Lanteri Laura porte ainsi sur l’analyse de la pathologisation des déviances sexuelles. Il a observé que dans bien des cas c’est la doxa qui précède et informe l’épistémé sur le mode de l’appropriation de quelque chose qui lui préexiste. Autrement dit, le savoir scientifique et clinique s’approprie la pensée de sens commun sur le sexe et la sexualité. En outre, ce travail met en lumière toute la dimension idéologique et politique de ces appropriations. Enfin, on peut aussi aborder l’histoire de la pensée sexologique au sens foucaldien du terme, c’est-à-dire en référence à la problématisation que pose la question de la sexualité dans différents contextes historiquement situés : « Cette élaboration d’une donnée en question, cette transformation d’un ensemble d’embarras et de difficultés en problème auxquels les diverses solutions chercheront à apporter une réponse, c’est cela qui constitue le point de problématisation et le travail spécifique de la pensée. » (Foucault, 2001b, pp. 1416-1417).
Qu’il s’agisse de traduction, d’appropriation ou de problématisation, ou encore d’autres approches, les enjeux d’une histoire croisée de la sexualité et de la sexologie depuis le XIXe siècle engagent une réflexion sur les institutions et les auteurs qui produisent et diffusent ces concepts.
Sexualité et sexologies actuelles dans la perspective de la santé et de la psychiatrie Aujourd’hui, les manuels diagnostiques issus de différents contextes institutionnels envisagent différemment et parfois de manière divergente la sexualité et son rapport à la nosographie. D’un côté, selon le manuel diagnostique et statistique (DSM-5) de l’Association de Psychiatrie Américaine, la sexualité embrasse un vaste champ de la psychiatrie qui concerne « l’excitation sexuelle, les pensées sexuelles, les fantasmes, les pulsions et ou les comportements » et de façon plus générale les souffrances qu’elle peut susciter chez les personnes ainsi que les déviances dont elle peut être l’objet. Si le DSM-5 ne donne pas de définition explicite de la sexualité, les classifications qui y sont proposées sont fondées sur des définitions implicites qui posent les bases de la conceptualisation et des types de réponse proposées aux « troubles sexuels », aux « troubles paraphiliques » ou aux « dysphories de genre ». De l’autre côté, la CIM (Classification Internationale des Maladies de l’OMS), qui est une classification générale des maladies – somatiques, fonctionnelles, mentales, etc… - se donne la possibilité d’inclure les questions liées à la sexualité dans le répertoire des maladies somatiques ou psychologiques. L’OMS propose ainsi de créer une nouvelle catégorie de « disorders related to sexual health » pour classer ces problèmes et les « dépsychiatriser » (sinon les « dépathologiser ») en les faisant sortir de la catégorie nosographique des troubles mentaux (Reed et al. 2016).
Les documents de l’OMS qui instituent la « santé sexuelle » (à partir des années 1975) incluent des définitions spécifiques de « la sexualité » et de la « santé sexuelle » qui, si elles ne se recouvrent pas, font bien ressortir que la « santé sexuelle » est un dispositif de réponses sociales – santé publique, éducation, prévention, formation, soins – apportées aux questions de sexualité qui ne sont certainement pas les mêmes que celles proposées dans le DSM et la CIM qui se rapportent exclusivement à la pathologie :
« La sexualité est un aspect central de l’être humain tout au long de la vie et comprend le sexe, les identités et les rôles socialement associés aux femmes et aux hommes, l’orientation sexuelle, l’érotisme, le plaisir, l’intimité et la reproduction. La sexualité est vécue et exprimée sous forme de pensées, de fantasmes, de désirs, de croyances, d’attitudes, de valeurs, de comportements, de pratiques, de rôles et de relations. Si la sexualité peut inclure tous ces aspects, tous ne sont pas toujours exprimés ou expérimentés. La sexualité est influencée par l’interaction de facteurs biologiques, psychologiques, sociaux, économiques, politiques, culturels, éthiques, juridiques, historiques, religieux et spirituels » (OMS, 2002).
Selon cette perspective, la sexologie s’apparenterait à un dispositif social, médical, psychologique et institutionnel de réponses aux questions posées par les expériences de la sexualité, qu’en retour elle a pour effet de modeler et transformer.

Objectifs
Le colloque se propose d’examiner l’histoire des conceptions de la sexualité qui ont été mobilisées – explicitement ou implicitement - dans les différentes constructions sexologiques depuis le dix-neuvième siècle jusqu’aux temps présents.
Le champ des connaissances, des théories et des pratiques – le dispositif – qui sont désignées sous le terme de « sexologie » renvoie à des conceptions spécifiques de la sexualité. La sexologie constitue une forme de réponse sociale – et surtout médicale, psychologique, psychiatrique et parfois légale – aux questions posées par les humains à propos de « leur sexualité ». Et à son tour, les savoirs élaborés par la sexologie influencent la formulation des questions que se posent les personnes sur « leur sexualité ». Une histoire des orientations de la sexologie, dans ses grands traits, est marquée par le passage d’une « proto-sexologie » plus volontiers centrée sur les perversions et les déviances, à une consolidation du champ autour de l’observation, la mesure et le traitement de la « fonction de l’orgasme » et de ses difficultés d’accomplissement. Le décloisonnement de la sexologie du domaine de la pathologie s’observe également dans l’intérêt pour l’observation et la mesure des comportements sexuels en population (Béjin, 1982). Le champ de la sexologie se transforme actuellement avec l’émergence de la « médecine sexuelle », la « santé sexuelle » et les « droits sexuels », évolutions qui doivent être prises en compte car elles contribuent à la reformulation des
théories de la sexualité.
Les communications contribueront à renseigner cette histoire croisée de la sexualité et de la sexologie en mobilisant des matériaux issus de documents médicaux, scientifiques, pédagogiques, ainsi que ceux issus des institutions impliquées dans la médicalisation (y compris la démédicalisation) de la sexualité. Elles peuvent aussi traiter des enjeux historiographiques émergeant de l’articulation de ces deux champs d’histoire.

Modalités pratiques
Deux types de communications sont attendus :
- des communications invitées parmi les membres du réseau et du comité scientifique,
- un appel à communication ouvert.
Le colloque se déroulera sur deux journées. Les communications – d’une durée de 20 minutes – seront regroupées par thématique, aire géographique, période historique ou orientation historiographique en fonction des propositions qui parviendront au comité. Chaque groupe de communications (2/3) sera commenté par un discutant. Les résumés et les communications pourront être présentés en français ou en anglais. Il n’y aura pas de traduction simultanée.
Ce colloque a également pour objectif la publication d’un ouvrage collectif dans une maison d’édition française spécialisée dans la publication d’ouvrages collectifs et pluridisciplinaires.

Soumission des propositions : Dates importantes
15 Juillet 2017 : Date limite d’envoi des résumés (en format .doc ou pdf) au comité scientifique / comité d’organisation. Les résumés doivent comporter 1000 mots environ (incluant une courte bibliographie) en français et doivent être adressés aux deux adresses
suivantes :
Alain Giami (alain.giami@inserm.fr) et Sabine Bimbard (sabine.bimbard@inserm.fr).

1er Septembre 2017 : Réponse et notification d’acceptation par le comité scientifique.
30 Septembre 2017 : Envoi des versions préliminaires des présentations au comité
scientifique/comité d’organisation pour distribution aux discutants et responsables de session.
Les textes seront accessibles uniquement aux participants du colloque sur la page WEB qui lui sera dédiée (en cours de construction).

Comité Scientifique
Barras, Vincent (Université de Lausanne CH);
Bauer, Heike (Birkbeck College, University of London, UK);
Beccalossi, Chiara (Oxford Brookes University, UK);
Béjin, André (CNRS, FR);
Chaperon, Sylvie (Université de Toulouse Jean-Jaurès, FR);
Coffin, Jean Christophe (Université de Paris Saint-Denis, FR);
Crozier, Ivan (University of Sydney, AU);
De Ganck, Julie (Université Libre de Bruxelles, BE);
De Larocque, Gonzague (INSERM–CESP, Paris, FR);
Downing Lisa (University of Birmingham, UK);
Fisher, Kate (University of Exeter, UK);
Giami, Alain (INSERM – CESP, Paris, FR)
Hekma, Gert (Universiteit van Amsterdam, NL);
Kraus, Cynthia (Université de Lausanne, CH);
Levinson, Sharman (Université d’Angers, & the American University of Paris FR)
Mazaleigue-Labaste, Julie (CNRS, FR);
Medico, Denise (Département de sexologie, UQAM, CAN)
Russo, Jane, (IMS, Rio de Janeiro State University, BR);
Schlagdenhauffen, Régis (ÉHÉSS, FR).
Comité d’organisation
Equipe : Genre, sexualité, santé (INSERM-CESP)
Alain Giami, Sabine Bimbard, Gonzague de Larocque, Émilie Moreau & Lucie Nayak
American University of Paris
Sharman Levinson

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